jeudi 17 février 2011

Robert Olmstead

Un héros sans nom

Le héros torturé du Cauchemar d'Innsmouth a eu un nom. Je dis bien: a eu, car ce nom ne put jamais franchir les  pages d'un brouillon ou il resta des années durant. Lovecraft préféra ne jamais le nommer dans la nouvelle.  Pourquoi pas? Mais alors pourquoi nommer avec beaucoup de détails toutes les autres personnes, donner le nom des bateaux du capitaine Marsh, le nom précis des rues, le nom de l'endroit ou  vivait le héros, ou il passa ses études et toute sa généalogie détaillée? Procédé bizarre,  ou le héros n'est pas décrit de l'extérieur, il se décrit lui même, de "l'intérieur" étant le narrateur, surement voulu par l'auteur qui finalisa 2 ou 3 brouillons tout de même, mais qui laissa le héros sans nom au final quand la nouvelle fut publiée. 

Dans quel but?

Le héros de cette nouvelle, comme pas mal de héros,  voire tous les héros, des livres de Lovecraft, lui ressemble par bien des aspects. Il fête seul sa période de fin d'études (être social , Lovecraft  fut quand même lyu aussi un solitaire),  et parcours la Nouvelle Angleterre à la recherche de monuments architecturaux intéressants et pour compléter sa généalogie (comme Lovecraft). Là on se dit qu'on a affaire au premier de la classe et le personnage perds un peu en crédibilité, mais continuons. Un peu serré au niveau budget, le héros (appelons-le par son nom de brouillon: Robert Olmstead.) dort à l'YMCA, (auberge de jeunesse locale) mange frugalement dirons nous, et dépense peu pour les transports préférant les bus aux trains; une fois encore: comme Lovecraft. Coté habillement ce n'est pas mieux car quand le héros se déshabille à la pension Gilman on apprend qu'il à un chapeau et un faux col et surement une cravate, en plein mois de juillet!  Le "jeune" homme ressemble plus à un vieux garçon et à... encore à Lovecraft lui même. Pourquoi alors ne pas le nommer comme furent nommés Randolph Carter, Herbert West, Charles Dexter Ward, etc.


Peut être parce que au final le héros est un Marsh, du moins un de ses descendant et que bientôt il n'aura plus forme humaine et donc pas de nom humain. Peut être parce que l'histoire de Robert Olmstead touche d'un peu trop prés Lovecraft lui même. Maurice Levy dans sa thèse sur Lovecraft (Lovecraft ou du fantastique, éditions 10-18, 1985) en parle très bien : "L'univers fantastique de Lovecraft est aux dimensions mêmes de son psychisme, obéré de complexes. Un psychiatre trouverait surement dans ses lettres d'alarmants indices de névrose, qu'il saurait interpréter, codifier: certains signes n'échappent pas même au plus naïf des lecteurs." Un peu plus loin Maurice Lévy met en garde contre toute lecture de Lovecraft qui serait "seulement" psychiatrique ou psychanalytique. Un homme ne peut se résumer seulement à la somme de ses névroses, supposées ou  réelles, mais pour le coup ces dernières influences indubitablement son œuvre, tout en ne la recouvrant pas entièrement.

L'épouvantable hérédité

Le thème de l'hérédité est récurrent chez Lovecraft. S'il est courant pour tout américain bien nanti de retrouver ses origines anglo-saxonnes (nobles de préférences ou rattachées aux premiers pèlerins ou mieux aux pères fondateurs du pays),  pour Lovecraft, cette marotte ou hobby avait une signification supplémentaire. Son père atteint de syphilis dut être hospitalisé et finit ses jours, fou dans un asile, comme un de ses cousins proches atteint de la même maladie. Si il y a quelques nobliaux dans la famille paternelle de l'écrivain il y a aussi pas mal de cas de folie ou de suicide. La famille maternelle est plus solide, mais sa mère fut surement atteinte par la maladie de son marie et sombra dans une sorte de délire en pensant que son fils pouvait avoir été infecté. Elle finit elle aussi ses jours à l'asile. On le voit, tous les ressorts de la nouvelle sont en place. Lovecraft eut il connaissance  de la véritable cause de décès de son père? Intelligent comme il l'était et curieux, comme le sont tous les enfants  il y a de fortes chances que oui,  malheureusement à terme cela signifiait qu'il comprenait qu'il existait un risque que lui même soit atteint à son tour.

Question généalogie, dans ses lettres il parle surtout de la branche maternelle (celle qui ne fut pas "infectée" et qui l'éleva) et reste vague ou très en dessous de la vérité concernant la branche paternelle. Alors Olmstead = Lovecraft? Rien n'est moins sur. Il y a inévitablement une part de Lovecraft dans Olmstead. la façon dont il s'habille, ses centres d'intérêts, sa manière de parler ou de gérer l'argent comme de réagir face à des situations. Puis il y a d'autres éléments ou des pans de l'histoire personnelle de Lovecraft semblent se mélanger. Le père de Lovecraft fut atteint de la syphilis mais avant lui son propre cousin (ils avaient travaillés ensemble) et ce dernier fut interné dans un asile ou ils mourut. La syphilis de son père était de type dégénérative entrainant de graves lésions cutanées. des déformations. Lovecraft alors enfant ne vint jamais le voir, mais sa mère peut être, elle déclara souvent à qui voulait l'entendre que son fils était laid et difforme. Ces éléments sont tous dans la nouvelle, ou pourrait citer aussi l'intérêt du héros pour la tiare et faire un rapprochement avec son père qui fut représentant en orfèvrerie. la nouvelle aurait enchanté le Dr Freud si il avait eu Lovecraft comme patient et qui détestait la psychiatrie en général et Freud en particulier. Le thème de la souillure (sexuelle même si elle n'est pas forcément implicite dans tous ses écrits) et de la malédiction héréditaire reste au cœur même de l'œuvre de Lovecraft et l'on sait maintenant pourquoi.

Olm-Stead

Le nom du héros est même une possible explication quand à l'énigme de sa généalogie et de son mal. On a d'abord le mot Olm qui est une sorte de salamandre blanche dite salamandre des grottes de la famille des tritons aussi appelée Proteus ou Protée.  Découvert en 1689, il s'agit d'un animal cavernicole donc, et le plus grand prédateur des fonds souterrains. Vivant dans l'obscurité la plus totale il a perdu la vue et a développé d'autres facultés lui permettant de se déplacer et de se nourrir. Le Protée a été utilisé par Charles Darwin dans son célèbre ouvrage: L'origine des espèces,  comme un exemple de la perte de facultés due aux modifications des conditions de vie. "Comme on le voit chez le Protée aveugle, par rapport aux autres reptiles actuels de l’Europe, je suis surpris, au contraire, que des restes plus nombreux de la vie ancienne ne se soient pas conservés dans ces sombres demeures dont les habitants ont dû être exposés à une concurrence moins sévère." On est en pleine explication de la vie (possible) de ceux des profondeurs.


Un Proteus ou Olm
Stead signifie quand à lui: à la place, au lieu de quelqu'un ou de quelque chose. Olm-stead c'est donc le protée "à la place" de l'humain, qu'est le héros de la nouvelle. A noter aussi que le syndrome de Protée est une maladie génétique comprenant des malformations tissulaire d'aspect tumoral de tailles importantes appelées hamartomes. Elle se manifeste dès la naissance et les hamartomes grandissent au cours de la vie. Le fameux Elephant man immortalisé par le film de David Lynch souffrait surement de cette maladie dégénérative. Lovecraft avait il conscience de ces faits en créant le personnage de Robert Olmstead (un nom répandu aux États-Unis). Rien n'est moins sur mais les explications ci-dessus collent à merveille avec ce que le héros va découvrir et la propre vie de Lovecraft et de ce qu'il avait peut être découvert sur ses origines. Quoi qu'il en soit ce nom ne fut jamais divulgué et resta à jamais écrit dans un manuscrit.

Le fameux Elephant man atteint du syndrome de Protée

Inns-mouth

Innsmouth devient, à la lumière de ces quelques événements donc,  une nouvelle à tiroir ou le héros est un double de Lovecraft mais aussi peut être de son propre père et ou des pans de l'histoire familiale apparaitraient sous forme stylisée, ou symbolique. Une manière pour Lovecraft d'exorciser le mal par l'écriture et de parler à "découvert" ce que son éducation et ses mécanismes de défenses ne lui permettait pas de faire en public.

3 commentaires:

  1. Bonjour,

    Passionnante interprétation, je dois dire, et l'approche étymologique du nom Olmstead est à la fois bien trouvée et fort poétique.
    Cependant, je pense que l'omission du nom du narrateur dans la version finale peut avoir une origine moins... souterraine, disons. Je crois me souvenir d'une lettre à Derleth (à vérifier) où Lovecraft dit vouloir expérimenter de nouvelles techniques narratives pour cette histoire : parler vernaculaire (Zadok, l'employé de la gare) et semi-dialogues. Ces derniers, notamment, me paraissent participer d'une méthode tout à fait consciente de Lovecraft visant à impliquer le lecteur dans le "corps" du narrateur. Sans que jamais le narrateur ne prenne la parole, ni qu'on entende sa voix, certaines remarques de ses interlocuteurs nous laissent entrevoir un dialogue ("S'il y a un hôtel à Innsmouth ? Pour sûr !", par ex). De la sorte, Lovecraft nous met à la place du narrateur, et nous rend Innsmouth encore plus oppressante qu'elle ne l'est déjà !
    Bref, c'est un peu confus, mais je pense que si Lovecraft a omis de nommer son personnage, c'est plutôt pour renforcer l'identification du lecteur avec le narrateur que par distanciation personnelle, et que ce choix découle d'un choix narratif tout à fait inédit et novateur.
    Mais bon, ce n'est qu'une hypothèse...

    Profondes amitiés,

    Maxime

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  2. Bonsoir,

    J'irai plus loin que Maxime. Le narrateur n'est qu'un point de vue sur le monde. Je pense qu'HPL n'est pas intéressé par la psychologie des personnage. Après tout, HPL était à la recherche de l'horreur cosmique

    Bien à vous tous

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  3. J'ai une théorie, sur cette nouvelle en particulier, c'est qu'elle raconte une partie de l'histoire de Lovecraft du côté paternel. L'horreur ici vient de la malédiction génétique je dirais, un thême cher à HPL qui pouvait être atteint de la syphillis de son pêre - une sorte d'épée de Damocles que sa mêre à moitié folle visiblement aimait lui rappeller. Ici c'est plutôt le basculement vers l'acceptance d'être différent, (et quelque part une fin "heureuse" le héros devient un monstre mais ne meurt pas) qui est, pour moi, au centre de cette nouvelle.

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